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Si vous avez manqué COBRA ...

En cette période bien chargée où les vernissages fleurissent pour les nouvelles expositions de l'été, vous n'avez peut-être pas eu le temps d'aller visiter l'Exposition COBRA qui s'est tenue au Musée de Pont-Aven du 10 mars au 10 juin dernier ...


Je vous invite donc à me suivre dans les salles du musée à la découverte d'une exposition au titre vraiment très intriguant !


En effet, COBRA est un mouvement artistique très peu connu en France. Et ceux qui en ont entendu parler s'arrêtent souvent à l'explication suivante : "COBRA, ce sont les premières lettres de Copenhague, Bruxelles, Amsterdam, les trois capitales des pays où est né le mouvement, et puis c'est assez criard, on dirait des dessins d'enfants ...".


COBRA, c'est aussi le serpent, cette force animale, sauvage, tellurique, et c'est tout un bestiaire.


COBRA, c'est aussi une façon de se détacher de tous les noms en

-ISME qui parcourent l'histoire de l'art : impressionnisme, réalisme, surréalisme ...


Humm, voilà qui nous promet un bel espace de liberté et de créativité.


En fait, pour moi, COBRA m'a surtout fait très peur !


Rapidement survolé pendant mes études à L'Ecole du Louvre, je me demandais comment tenir mes visiteurs captivés pendant une heure devant un art qui m'était complètement hermétique.


Heureusement, j'ai pu suivre une visite guidée par le commissaire de l'exposition, Victor Vanoosten. Et bien que, parfois en désaccord avec lui, mon billet et ma visite sont clairement inspirés de ses propos.


Ainsi, voici le fruit d'une semaine de travail, où je me suis plongée dans cet univers et dans "la fosse aux serpents" ...



Pour faire un court historique : créé en 1948 à Paris, COBRA s'est révélé au grand public à travers deux grandes expositions :


-La Première Exposition Internationale d'Art Expérimental qui a eu lieu au Stedelijk Museum d'Amsterdam en novembre 1949


-La Deuxième Exposition Internationale d'Art Expérimental qui a eu lieu à Liège en 1951, et qui marque aussi la fin du mouvement, dissout la même année.

Et pourtant, COBRA ne se limite pas à ces trois années, il prend ses racines bien avant, en pleine Seconde Guerre Mondiale, et continuera bien après.



Comme tout nouveau mouvement artistique, il se crée en opposition à ce qui fait école à l'époque, à savoir :


- le surréalisme et la figure tutélaire d'André Breton, même si COBRA revendique également une spontanéité, mais la notion d'inconscient y est beaucoup moins présente.


- l'abstraction géométrique dont le représentant est le bien connu Piet Mondrian.

Piet Mondrian, Trafalgar Square, 1939-43, MoMa


- le réalisme socialiste, l'art qui est à l'honneur dans les pays de l'URSS, bien que COBRA découle du Surréalisme Révolutionnaire.


L’ouvrier et la Kolkhozienne

Pavillon de l’URSS, Exposition Universelle de 1937


Et en effet, quand on regarde cette première oeuvre de Karel Appel, on comprend bien que l'on est à mille lieues de ces trois styles ....


Karel APPEL, Schrik in het gras (Effroi dans l'herbe), 1947, HST

Loin des lignes verticales et horizontales de Mondrian, des peintures au dessin léché des surréalistes, et du réalisme socialiste, ce qui interpelle surtout, dans ce tableau d'Appel, c'est la violence des couleurs, comme si le personnage était blessé ou lui-même menaçant.

Cette violence et cette peur sont toujours sous-jacentes dans les oeuvres de COBRA, car, si à première vue COBRA se revendique de l'enfance, c'est une enfance qui a vécu les affres de la Seconde Guerre Mondiale, et qui a donc perdu son innocence.


Karel APPEL, Verschrikte kat (Chat effrayé), 1951, HST

Ce sentiment est également palpable dans le beau chat d'Appel, qui, malgré ses rondeurs et ses jolies couleurs, est un "chat effrayé", qui n'a pas oublié les dégâts de la civilisation...


Mais comme dans tout mouvement artistique aussi, les artistes de COBRA ne créent pas ex-nihilo.

Car le premier sentiment que j'ai eu en terminant la visite de l'exposition, c'est de me dire que COBRA n'était résolument pas "moderne", dans le sens de "novateur". Bien des artistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ont bousculé et joué avec les codes de la peinture, de la sculpture et du dessin.

Et c'est tout le parti pris de ma visite : réintroduire COBRA dans une histoire de l'art, en faisant des liens avec ce qui existait avant.



Avec la première salle de l'exposition, Victor Vanoosten a tout de suite voulu plonger le visiteur dans l'ambiance particulière des deux grandes expositions historiques de COBRA, où se mêlaient peintures, poésie et sculptures, avec un accrochage assez original pour l'époque.

Pour la première exposition qui a eu lieu à Amsterdam, il faut imaginer les tableaux accrochés à diverses hauteurs dans les grands espaces du Stedelijk Museum, dont le directeur est à l'époque le novateur Willem Sandberg. Malheureusement, cet accrochage n'a pas été réalisable dans l'espace du Musée de Pont-Aven qui ne disposait pas d'une hauteur sous-plafond suffisante.


Mais l'effet est tout de même réussi, on est vraiment plongé dans les couleurs et le bestiaire de COBRA.

D'ailleurs, reconnaîtrez-vous le drôle d'animal ci-dessous ?

Karel APPEL, Eléphant, 1950 - 1989

Bronze peint édité en 6 exemplaires en 1989

à partir de l'original en plâtre de 1950

Cet éléphant, dont les coulures bleues peuvent faire penser à des blessures, illustre parfaitement l'une des préoccupations majeures de nos artistes à l'époque : l'argent !

En effet, ce bronze n'a pu être réalisé qu'en 1989, d'après un original en plâtre de 1950, car à l'époque, le bronze était trop cher ...


Henry Heerup, Lutin / Femme-Temple, 1954 / 1949, Granit

Henry Heerup pensait que chaque pierre était habitée par un être, et qu'il suffisait de la sculpter pour le dévoiler.

On pourrait très bien s'attendre à retrouver son Lutin de granit rôdant avec les Korrigans dans les forêts de Bretagne, et sa Femme-Temple est évidemment un clin d'oeil aux Vénus de la Préhistoire, ces petites sculptures où l'accent est mis sur les cuisses, les hanches et les fesses de la femme, comme une ode à la fécondité. Faire référence à l'art populaire et à l'art préhistorique est assez novateur pour l'époque.

Certaines des sculptures de Heerup avaient été présentées lors de l'exposition de Liège en 1951 sur un tapis de charbon, faisant ainsi référence au passé minier de la région.


C'est l'une des grandes revendications de COBRA : ancrer l'art dans le quotidien des gens et ne pas faire de l'artiste une figure tutélaire, placée au-dessus du simple commun des mortels.


Une photo de Serge Vandercam qui montre l'une des salles de la IIe Exposition Internationale d'Art Expérimental au Palais des Beaux-Arts de Liège en 1951, où l'on voit le tapis de charbon sur lequel sont disposées les sculptures.


Les trois salles qui suivent sont dédiées aux trois pays fondateurs de COBRA : le Danemark, la Hollande et la Belgique.

En fait, COBRA a puisé ses racines dans les mouvements artistiques qui, pendant la Seconde Guerre Mondiale, revendiquaient un art contre l'occupant nazi.


Au Danemark, certains artistes ont créé la revue Helhesten, ce qui signifie Cheval d'Enfer.


Pendant la première moitié du XXe siècle, l'Allemagne avait pourtant vu naître le grand mouvement expressionniste et le Blaue Reiter, dont la modernité n'échappe aujourd'hui encore à personne.

Mais, à l'époque où le Danemark est occupé par les nazis, tout l'art moderne du début du XXe siècle est considéré comme "entartete Kunst", c'est-à-dire "art dégénéré".

L'occupant veut revenir à un art classique, académique, et il méprise les traditions du Nord, comme par exemple l'art médiéval des fresques des églises de Copenhague.


Ce qui l'intéresse dans le passé de l'Europe du Nord, c'est la glorieuse référence à la force des Vikings, dont se nourrit l'idéologie de la pseudo-chevaleresque Société Thulé.

Or, en regardant les peintures de Carl-Hening Pedersen, on est frappé par l'absence de perspective, l'horreur du vide qui fait se contorsionner personnages et paysages, les couleurs lumineuses et le contraste avec le bleu, comme dans les tableaux de Van Gogh.


Pedersen s'est en effet fortement inspiré des fresques médiévales des églises de Copenhague. S'inspirer de Van Gogh, c'est également s'inspirer d'un artiste considéré comme "fou", qui peignit la Nuit Etoilée depuis la chambre de l'asile dans lequel il était interné.


Carl-Henning Pedersen, Flimrende landskab

(Paysage étincelant), 1949, HST

Van Gogh, Nuit étoilée, 1889, MoMa


La folie est l'un des thèmes préférés des artistes de COBRA. D'ailleurs, l'un de mes collègues et le commissaire de l'exposition ont eu un petit désaccord au sujet du titre du tableau d'Asger Jorn que je vous présente ci-dessous : "Mads" signifierait "les fous" pour l'un, tandis qu'il s'agirait tout simplement du prénom danois pour l'autre ... même si je penche pour la deuxième solution, on ne peut pas nier que notre cher "Mads" a quelque chose de dérangeant et qu'il est clairement inspiré du célèbre Cri de Munch et de l'expressionnisme !

Asger JORN, Mads, 1953, HST

Munch, Le Cri, 1893


C'est bien dommage que ma photographie ne puisse pas rendre aussi bien les effets de matières de ce tableau, car on sent un véritable jeu avec la matière, on a vraiment l'impression que l'artiste a fouillé le tableau avec ses mains pour y créer ces grandes traînées de peinture.


Henry Heerup, Le Bacille brun, 1945, HST

Dans ce tableau de Henry Heerup, on voit que les artistes de COBRA aiment également faire référence à l'art africain.

En effet, si l'on distingue clairement la massue ou le glaive avec la croix gammée, le visage-masque est inspiré des masques africains. Les artistes de COBRA sont des artistes militants, et le titre "Bacille brun" évoque la peste brune, couleur des chemises de la milice nazie. Dans les années 1930, un artiste expressionniste allemand, quittant son pays à cause de la montée du fascisme, avait donné comme raison "Allergie gegen braun", ce qui signifie "Allergie contre le brun". Le bacille brun, c'est également la tuberculose dont deux membres de COBRA sont atteints en cette fin de guerre.

Faire référence à l'art africain n'est pas nouveau, et l'on peut rapprocher facilement ce masque du masque des Demoiselles d'Avignon de Picasso, peint plus de trente ans plus tôt, d'où ma volonté de replacer COBRA dans une lignée d'artistes modernes.


Picasso, Les Demoiselles d’Avignon (détail), 1907, MoMa


La salle suivante est dédiée au groupe expérimental hollandais, fondé en 1948 à Amsterdam par Constant, Karel Appel et Corneille sur les conseils d'Asger Jorn, que Constant avait rencontré à Paris.


Constant, Sans titre, 1950

Dans cette peinture de Constant, on retrouve l'une des préoccupations majeures de COBRA : la vie quotidienne. Ce personnage aux bras démesurés tire une charrette, symbole de la difficulté du quotidien de l'après-guerre. La plupart des denrées de base sont encore rationnées bien des années après l'armistice, les populations vivent dans des logements de fortune au milieu des ruines ... Les bras étirés et les formes disproportionnées du personnage rappellent bien sûr le Guernica de Picasso.


Corneille et Constant, Sans titre, 1950


La peinture ci-dessus illustre une autre caractéristique de COBRA: le travail à plusieurs mains. Ici, le tableau est signé Corneille et Constant, et il est impossible de distinguer qui a peint quoi.

On est loin de l'atelier classique où le maître peint les parties difficiles du tableau, comme les mains ou les visages, et laisse à ses élèves le soin du reste. Ici, les deux artistes sont sur un pied d'égalité, et partagent le plaisir de peindre ensemble.


Karel Appel, Garçon dans la rue, 1953

Karel Appel disait de lui-même qu'il était un "barbare", mais un "barbare civilisé". Tout comme Gauguin se revendiquait d'être "un enfant et un sauvage". Ce tableau est vraiment le concentré de cette façon de penser : couleurs criardes, jeune enfant au sexe gigantesque dressé. On revient certes à l'enfance, mais à une enfance qui a perdu son innocence, qui détruit tout et qui a en même temps une puissance et une violence créatrice.


Karel Appel, Le Chat, 1951

Et revoilà un beau gros chat, qui n'est plus effrayé cette fois ! Ce tableau est l'occasion pour moi de faire le lien entre COBRA et Pont-Aven. En effet, beaucoup de visiteurs se sont interrogés sur la raison de cette exposition à Pont-Aven.

Pont-Aven se revendique comme le berceau de la modernité en peinture, puisque c'est ici que Gauguin et ses amis ont vécu la formidable aventure de ce que l'on appelle aujourd'hui "l'école de Pont-Aven" et ont créé ensemble une nouvelle façon de peindre.

Les artistes de COBRA sont les héritiers de Gauguin et revendiquent son influence. Certains sont même venus à Pont-Aven pour suivre les traces de leur aîné.


Theo Wolvecamp, Corneille et Hansma en Bretagne en 1950, photographie Henny Riemens


Dans Le Chat de Karel Appel, on retrouve toutes les leçons de l'Ecole de Pont-Aven : le cerne noir, hérité du cloisonnisme d'Emile Bernard, les grands aplats de couleurs vives, le manque de perspective ...

La politique du musée de Pont-Aven est d'illustrer la modernité au-delà du XIXe siècle et de la seule Ecole de Pont-Aven en présentant des courants artistiques du XXe et du XXIe siècles.


La salle suivante présente les membres de COBRA originaires de la Belgique.

En Belgique, c'est